La dynamique des glaces du Groenland décryptée : une équipe internationale dirigée par l'ETH Zurich, impliquant des chercheurs de l’Université de Strasbourg (ITES-EOST) et de l’Institut de Recherche pour le Développement (Jean-Paul Ampuero IRDien à Géoazur (Université Côte d'Azur, Observatoire Côte d'Azur, CNRS, IRD), a mis en évidence l’existence de nombreux microséismes en profondeur au sein des fleuves de glace du Groenland. Ces travaux ont été publiés dans la revue Science le 6 février 2025
Les “fleuves de glace” sont des courants de glace rapide au sein des calottes polaires, jouant un rôle clé dans l’écoulement de la glace vers l’océan. Mieux comprendre leur dynamique et les facteurs qui l'influencent est essentiel pour évaluer leur impact sur la montée du niveau des mers et la stabilité des calottes glaciaires, surtout face au réchauffement climatique. Pour la première fois, une équipe internationale de chercheurs a mis en évidence l’existence de nombreux microséismes à l’intérieur du plus grand fleuve de glace du Groenland. Cette découverte permettra à terme d'affiner les estimations de l'écoulement de la calotte glaciaire Groenlandaise et des variations du niveau des mers qui en résultent.
Les grands “fleuves de glace” de l'Antarctique et du Groenland sont des courants rapides au sein des glaciers qui agissent comme des rivières gelées, transportant rapidement la glace des immenses calottes polaires continentales jusqu'à l’océan. Toute modification de leur dynamique impacte directement l'augmentation du niveau des mers. Pour évaluer avec précision l’ampleur de l’élévation du niveau des mers, les glaciologues s’appuient sur des simulations numériques de ces fleuves de glace. Jusqu’à présent, ces modèles reposaient sur l’hypothèse que ces fleuves de glace s’écoulent lentement et de manière continue vers l’océan, à l’image d’un miel épais. Cependant, les mesures satellitaires de la vitesse d’écoulement des fleuves de glace révèlent que ces simulations présentent des lacunes et ne reflètent pas fidèlement la réalité. Ces imprécisions entraînent d’importantes incertitudes quant à la quantité de glace perdue par ces fleuves de glace, ainsi que sur la rapidité et l’ampleur de l’élévation du niveau des mers associée.
Publiée dans la revue Science, cette recherche pilotée par l’ETH Zurich a mobilisé des scientifiques de plusieurs institutions européennes, dont l’Institut Alfred Wegener (AWI), l’Institut Niels Bohr (NBI), et l’Institut fédéral suisse WSL. L’équipe inclut aussi des chercheurs français de l’Université de Strasbourg affiliés à l’Institut Terre et Environnement de Strasbourg (ITES) et à l’École et Observatoire des Sciences de la Terre (EOST) ainsi qu’un chercheur de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) du laboratoire Géoazur.
Un phénomène sismique insoupçonné
Une équipe de chercheurs dirigée par le professeur Andreas Fichtner de l’ETH de Zurich et impliquant des chercheurs français de l’Université de Strasbourg et de l’Institut de Recherche pour le Développement en collaboration avec l'Institut Polaire Allemand Alfred Wegener (AWI), a fait une découverte inattendue : en profondeur, au sein des fleuves de glaces, des microséismes se déclenchent les uns les autres et se propagent sur des centaines de mètres. Ce mécanisme pourrait expliquer les incohérences entre les simulations numériques actuelles des fleuves de glace et les observations satellitaires, et entraîner une évolution des simulations des fleuves de glace à l’avenir.
« L’hypothèse selon laquelle les fleuves de glace s’écoulent uniquement comme du miel visqueux est dépassée. Ils se déplacent également par un mouvement saccadé », explique Andreas Fichtner. Selon lui, cette découverte sera intégrée aux simulations des fleuves de glace, rendant les estimations de la variation du niveau des mers plus précises.
Un mystère enfin résolu
Les microséismes pourraient également expliquer la présence de plans de failles entre les cristaux de glace observées dans les carottes extraites en profondeur. Les scientifiques connaissent ces plans de failles depuis des décennies, mais leur origine restait jusqu'à présent inexpliquée.
« La découverte de ces microséismes constitue une avancée majeure dans la compréhension de la déformation des fleuves de glace à petite échelle », explique Olaf Eisen, professeur de glaciologie à l’Institut Alfred Wegener et chercheur invité à l’Institut Terre et Environnement de Strasbourg (ITES), et coauteur de l’étude.
Le lien entre le feu et la glace
La raison pour laquelle ces microséismes n'avaient jamais été détectés auparavant est surprenante : une couche de particules volcaniques située à 900 mètres de profondeur empêche leur propagation vers la surface. L'analyse des carottes de glace a révélé que ces particules proviennent d'une éruption massive du mont Mazama (Oregon, États-Unis) survenue il y a environ 7 700 ans. "Nous avons été stupéfaits par cette relation jusque-là inconnue entre la dynamique d'un fleuve de glace et une éruption volcanique", confie Andreas Fichtner.
Les chercheurs ont également observé que les microséismes prennent naissance au niveau des impuretés présentes dans la glace. Ces impuretés, constituées de traces de sulfates issus d'éruptions volcaniques, ont traversé la moitié du globe avant d'être piégées dans la calotte glaciaire Groenlandaise sous forme de précipitations neigeuses. Elles fragilisent la structure de la glace et favorisent l'apparition de microfissures.
Un forage de 2 665 mètres dans la glace
Les chercheurs ont découvert ces microséismes glaciaires grâce à un câble à fibre optique inséré dans un forage de 2 665 mètres de profondeur, enregistrant pour la première fois des données sismiques à l’intérieur d’un fleuve de glace. Ce forage a été réalisé par les scientifiques du projet East Greenland Ice-core Project (EastGRIP), dirigé par l’Institut Niels Bohr et soutenu par l’Institut Alfred Wegener. Il a permis d’extraire une carotte de glace de 2 665 mètres de long. Une fois le forage terminé, les chercheurs ont installé un câble à fibre optique jusqu’à 1 500 mètres de profondeur et enregistré en continu les signaux sismiques à l’intérieur du fleuve de glace pendant 14 heures, grâce à une méthode de mesure photonique qui révolutionne la sismologie depuis quelques années : la mesure acoustique distribuée.
Situé sur le fleuve de glace du Nord-Est du Groenland (NEGIS – North East Greenland Ice Stream), à environ 400 km de la côte, ce site d'étude est crucial : le NEGIS est le plus grand fleuve de glace de la calotte glaciaire du Groenland et draine 12% de sa glace, dont le recul contribue largement à l’élévation actuelle du niveau des mers. Au niveau du site d’étude, la glace se déplace vers la mer à une vitesse d’environ 50 mètres par an.
Les observations des chercheurs suggèrent que ces microséismes pourraient se produire en permanence dans tous les fleuves de glace, jouant ainsi un rôle important dans la dynamique d’écoulement des fleuves de glace. Pour le vérifier, il sera toutefois nécessaire d’effectuer des mesures sismiques similaires dans d’autres forages.
Une collaboration Franco-Allemande à l’origine du projet
Ces découvertes ont été rendues possibles grâce à une collaboration franco-allemande entre l’Institut Alfred Wegener et l’Institut Terre et Environnement de Strasbourg. Ce partenariat, soutenu par une bourse de l’Institut des études avancées de l’Université de Strasbourg (USIAS) ainsi que par un partenariat Hubert Curien “Procope”, a permis à Olaf Eisen de séjourner à Strasbourg pour travailler en étroite collaboration avec Dimitri Zigone et d’autres sismologues de l’ITES sur plusieurs années. De cette coopération est né le projet d’instrumentation sismologique sur le site du forage EastGRIP durant lequel les expériences de fibre optique ont été menées par Andreas Fichtner.
Références publication :
Fichtner A, Hofstede C, Kennett B L N, Svensson A, Westhoff J, Walter F, Ampuero J-P, Cook E, Zigone D, Jansen D & Eisen O, Hidden cascades of seismic ice stream deformation. Science. 6.2.2025, DOI: 10.1126/science.adp8094
Contacts :
Contact UMR Géoazur (UniCA - OCA -CNRS -IRD) :
Jean-Paul Ampuero, Directeur de Recherche, IRD,
Email : ampuero@geoazur.unice.fr
Professeur Andreas Fichtner, ETH Zurich, Professor of Seismology and Wave Physics
Phone : +41 44 632 25 97, Email: andreas.fichtner@eaps.ethz.ch
Olaf Eisen, AWI, Professor of Glaciology
Phone : +49 (0)471 4831 1969, Email: olaf.eisen@awi.de
Réponses en Anglais ou Allemand
Dimitri Zigone, ITES-EOST Strasbourg, Physicien-Adjoint du globe
Téléphone : +33 (0)3 68 85 02 14, Email : zigone@unistra.fr
Réponses en Français ou Anglais
Référence Communiqué Presse du 6 février 2025
Ils en parlent aussi :
The New York Time du 7 février 2025 : "In Greenland, the Ice Doesn't Just Flow, It Quivers and Quakes"